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Défis Publié le 30 août 2019

La légende des grands caps : Les dangers à l’origine du mythe

Le mythe des trois grands caps est né après que de nombreux marins ont perdu la vie en les franchissant. De nos jours, lorsque les participants au Vendée Globe affrontent ce même parcours mythique et les dangers de la circumnavigation par le sud, on pense au mythe et au défi que cela représentent. Nous avons parlé de sécurité et d’organisation avec Jacques Caraës, directeur de cette incroyable course.

Les trois grands caps sont à la fois une réalité et une légende. Ils font partie de la géographie et du mythe. Car les franchir revient à affronter des dangers qui, tout au long des siècles, ont coûté la vie à de nombreux navigateurs. Et bien que de nos jours les mesures de sécurité soient exceptionnelles et les systèmes de communication extrêmement efficaces, les grands skippers qui parviennent aujourd’hui à les aborder et à les franchir avec succès sont souvent comparés aux grands alpinistes. Ces sportifs dépendent aussi bien des conditions météorologiques que de leur propre résistance, de leur expérience, de leurs connaissances techniques accumulées et de leur capacité à anticiper les circonstances défavorables avant qu’elles ne se présentent.

Une route pleine d’histoire réservée aux plus audacieux

La légende raconte qu’en 1578, Francis Drake fut le premier navigateur à se mettre une boucle d’oreille en or à l’oreille droite pour prouver à tous qu’il avait dépassé le cap Horn et qu’il était revenu vivant de l’expédition. Depuis lors, la boucle d’oreille que le cinéma a associée aux pirates et aux flibustiers est un symbole de la bonne fortune et du courage des navigateurs les plus intrépides. Les navigateurs du passé sont ces pirates et marins qui, pendant l’âge d’or de la navigation commerciale à la voile (entre les XVIe et XVIIIe siècles) ont rendu possible la première grande mondialisation en transportant des esclaves, du sucre, des épices et de l’or d’un bout à l’autre de la planète. Les navigateurs du présent sont des sportifs d’élite hautement technicisés qui parcourent la même route que leurs prédécesseurs à la voile, prêts à dépasser leurs limites en mettant à l’épreuve leur embarcation et leur propre résistance.

La route qu’empruntent les navigateurs du Vendée Globe suit un tracé similaire à celui qu’utilisaient les anciens voiliers marchands qui contournaient le globe par le sud, une route marquée par la vitesse et les vents forts, d’autant plus forts à mesure que l’on va vers le sud. Cette route consiste à partir d’Europe en direction du sud-est, à franchir d’abord le cap de Bonne-Espérance, à 35º de latitude sud, à l’extrémité du continent africain, passant à cet endroit de l’océan Atlantique à l’océan Indien. La deuxième grande difficulté, le cap Leeuwin, se situe un peu plus au nord, à 34º de latitude sud et constitue la limite méridionale de l’Australie et le passage de l’océan Indien à l’océan Pacifique. Enfin, après plusieurs heures de navigation en solitaire, les navigateurs doivent affronter, au-delà de la Terre de Feu et à la redoutable latitude de 56º sud, le cap Horn. C’est à cet endroit que se rejoignent violemment les océans Pacifique et Atlantique où il est habituel d’affronter les grandes vagues, les vents forts et de rencontrer quelques icebergs.

Défis extrêmes et sécurité maximale

Tout l’intérêt de la course est justement de surmonter ces difficultés. Mais ni les participants, ni les organisateurs ne sont téméraires, ce sont des sportifs qui aiment les défis. Nous avons discuté avec Jacques Caraës, directeur de cette incroyable course pour qu’il nous donne son avis sur les aspects les plus dangereux de cette course.

“ L’entrée dans l’océan Indien est toujours un moment fort de la course. Si la descente de l’Atlantique est un sprint de tous les instants, l’approche et l’entrée dans l’océan Indien pèse souvent sur les concurrents et sans doute encore plus lorsqu’ils sont bizuths sur une telle course, où il va falloir compter que sur soi dans des contrées très retranchées de tout abri. L’Océan Indien symbolise la dure réalité du froid et de l’humidité, de l’éloignement. C’est une première difficulté psychologique à maîtriser. Maîtriser son comportement, s’engager comme dans un long tunnel sombre dans lequel il va falloir décroiser avec les systèmes météo avec audace, courage et détermination.

L’océan Indien et le Pacifique Sud sont deux océans qui rongent les skippers comme leurs bateaux, il faut apprendre à préserver son énergie et sa faculté à prendre les bonnes décisions tout en allant vite.

·       apprendre à maintenir son bateau en parfait état de fonctionnement à tous les niveaux que ce soit accastillage, voiles, mécanique, électrique, informatique, structurel.

·       savoir réparer au jour le jour la petite avarie pour qu’elle n’en entraîne aucune autre plus sévère.

·       gérer son sommeil dans des mers actives et parfois impressionnantes pour conserver l’énergie nécessaire pour prendre les bonnes décisions (stratégique et sécurisante), savoir mettre le curseur au bon endroit entre la performance et la sécurité.

·       gérer à bon escient son énergie pour faire les bons choix de voiles et surtout ne pas multiplier des manœuvres qui se révèlent inutiles faute de réflexion.

·       devancer l’obstacle pour ne pas le subir. Gestion des passages de fronts actifs (météo), vision de l’approche des zones interdites (ZEA: Zone d’Exclusion Antarctique),zone des glaces.

·       Savoir équilibrer sa nourriture dans les zones froides et maintenir son habitacle au sec pour ne pas perdre de calories et par conséquence de performance. ”

Une équipe en alerte permanente

Face à de telles difficultés, l’organisation du Vendée Globe est toujours en alerte. Voici ce que nous dit son responsable :

“ L’équipe de la direction de course dont j’ai la direction reste en éveil 24H/24H pendant toute la durée de la course jusqu’au dernier concurrent à terre. Nous répartissons notre veille par quarts ,comme un équipage pourrait le faire en mer. Notre préoccupation est de suivre les trajectoires de chaque concurrent et de bien comprendre la situation météo dans laquelle il se trouve.Une trajectoire douteuse ou une vitesse trop faible nous alerte immédiatement et la DC cherchera à comprendre soit dans un premier temps à contacter le team manager du compétiteur pour savoir ce qu’il se passe à bord. Si elle  n’a pas de réponse suffisante, la Direction de course cherchera à joindre le skipper par téléphone  ou par e-mail pour connaître l’état de marche du bateau. Si aucune réponse suffisante et rapide n’est obtenue,le directeur de course peut être amené à dérouter le concurrent le plus proche pour porter assistance ou précision.

·       la Direction de course travaille à l’avance avec les différents CROSS français et MRCC à l’étranger qui sont  traversés pour accompagner les passages des compétiteurs. Nous mettons en place un site” Rescue” où le lien permet aux différents MRCC de positionner avec précision un compétiteur en détresse. Nous les informons des passages sur leur zone du premier jusqu’au dernier. Les MRCC ont accès à nos fiches contacts pour chaque bateau ainsi qu’aux caractéristiques visuelles du navire.

·       dans les mers du sud, nous avons un contact australien de sécurité pour conserver directement si nécessaire le dialogue en permanence avec MRCC (Australie/NZ) .

·       La Direction de course, avec sa cellule de météo transmet quotidiennement un bulletin météo à chaque concurrent en fonction de son positionnement. Ce bulletin est un bulletin d’information dans un but de sécurité, en aucun cas il n’a une vocation de routage à l’exception d’une avarie lourde qui oblige le concurrent à rejoindre un abri dans les meilleures conditions possibles.

·       la Direction de course répondra aux e-mails des concurrents dans la mesure de leur possibilité. Elle garde un lien privilégié, quotidien et confidentiel avec le référent à terre de chaque coureur.

·       La Direction de course est le lien de communication exclusif en cas de modification de points de la ZEA, suite à de nouvelles acquisitions satellites sur la position des icebergs. Elle transmettra par avenant si une modification de parcours doit être faite. Dans ce cas le compétiteur transmettra un “accusé de réception”. ”

Trouver un bon équilibre entre le défi à l’extrême et la sécurité est, en fin de compte, la plus grande responsabilité de la direction de la course. Et pour y parvenir il n’existe qu’une formule où, selon Jacques Caraës, il est primordial d’« instaurer un lien de confiance entre la Direction de course, le compétiteur et le Team Manager ».